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Les limites à la PEB

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Bruxelles, Sept 2024

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est devenue un enjeu collectif majeur. Dans ce contexte, l’UE a adopté des directives qui ont conduit entre autres au Certificat PEB et qui en font l’alpha et l’oméga de la politique environnementale au niveau des bâtiments. Nous soutenons que cette idée ne met pas la focale au bon endroit ; que, ce faisant, elle manque les cibles tant écologiques que sociales ; que, par ailleurs, elle abîme l’économie et le paysage.

Théorie vs Réalité : le label PEB influence-t-il la consommation ?

Données issues de : Relatie tussen energielabel, werkelijk energiegebruik en CO2-uitstoot van Amsterdamse corporatiewoningen – D. Majcen, LCM Itard – TU Delft

Le graphique ci-dessus est éloquent et montre la faiblesse de la stratégie actuelle. Tirée d’une étude finalisée il y a dix ans déjà et portant sur près de 50.0000 logements à Amsterdam, il compare les consommations réelles avec les consommations théoriques eu égard à la catégorie PEB des logements 1. Les chiffres sont cinglants : alors que la consommation réelle devrait chuter drastiquement au fur et à mesure que le score PEB glisse de G vers A, on observe au contraire que cette consommation réelle se maintient à un niveau relativement constant. La conclusion est problématique : l’évolution vers un meilleur score PEB ne se traduit pas par une réduction automatique des consommations. Ces résultats ont depuis lors été confirmés par d’autres études, dont une récente recherche menée en Région bruxelloise, en collaboration avec la KULeuven et la VUB 2. Il est temps de prendre ces conclusions au sérieux.

L’écart entre consommations théoriques et consommations réelles peut avoir plusieurs causes, dont le fait que les modèles sous-estiment la vraie performance des bâtiments anciens, en usant involontairement d’hypothèses qui leur sont défavorables. Mais une grande partie de l’écart entre ces consommations théoriques et réelles tient à la possibilité d’action des personnes occupantes. Car c’est un fait : une fois construits, les bâtiments ne consomment pas d’énergie. Leur constitution physique a bien une influence sur la vitesse à laquelle l’énergie va être dissipée, mais elle n’est pas le moteur de cette consommation. À l’inverse, les usages jouent un rôle prépondérant : Vais-je laisser les fenêtres ouvertes en hiver ? Vais-je mettre le thermostat à 23°C ou à 17°C ? Vais-je chauffer uniquement lorsque je suis là, dans les pièces que j’occupe, ou partout en permanence ? etc. Une part significative de l’écart entre consommations théoriques et réelles tient à l’attention des personnes occupantes et à la configuration de leur logement 3.

De fait, en effaçant les personnes qui habitent, la politique actuelle nous donne un chèque en blanc : tant que nous isolons, nous pouvons consommer sans modération tout en profitant des subsides. Et c’est bien ce que nous faisons, comme le mettent en évidence plusieurs études concernant les effets rebond après isolation 4.

Rappelons l’évidence : l’enjeu écologique, c’est de faire baisser la somme de nos consommations, et de le faire dans le monde réel plutôt que théorique. C’est le défilement des chiffres au compteur qui sanctionnera la réussite ou l’échec de notre action collective. À ce niveau, l’isolation n’a rien d’une solution unique ou ultime, et le label PEB encore moins.

Le [kWh/m2] est-il l’unité pertinente pour l’action politique ?

Dans l’absolu, les [kWh/m²] théoriques renseignés dans le certificat PEB ne sont donc pas un bon reflet des consommations [kWh/m²] réelles. Mais au fait cette unité [kWh/m2], qui sert à décerner les labels, est-elle un bon outil de mesure ? La réponse à cette question implique deux remarques supplémentaires.

1/ Dans l’unité [kWh/m²], on fait disparaître la taille du bien, et l’énergie totale dépensée ne compte donc pas non plus. Une grande villa et un petit flat sont jugés sur la même base, alors que le volume à chauffer diffère fortement et que par conséquent l’impact de l’un et de l’autre ne sont absolument pas comparables. Un petit appartement peu performant sur le plan PEB est aussi économe en énergie totale qu’un logement plus performant mais plus spacieux.

2 / Dans l’unité [kWh/m²], on ne tient pas du tout compte du nombre de personnes qui profitent de la chaleur pour laquelle l’énergie est consommée. On perçoit pourtant de façon intuitive les économies ou les gabegies liées à une densité d’occupation faible ou forte. Deux personnes qui chauffent un vaste appartement bien isolé ont, à titre individuel, une empreinte égale à celles des membres de la famille de six personnes occupant le même appartement qui, sur le plan PEB, est trois fois pire.

Ce tableau exprimé en [kWh] théoriques reste dans les limites de la modélisation PEB, et ne tient pas compte de l’influence sur les consommations réelles que peuvent avoir, par exemple, des différences de températures intérieures qui existeraient entre les logements.

Ainsi, le système basé sur l’unité [kWh/m²] théorique et autour duquel gravitent subsides et futures amendes, n’est pas seulement un système peu connecté aux consommations réelles. C’est aussi un système foncièrement défavorable à celles et ceux qui, habitant en nombre et/ou dans des petits logements, participent au moins autant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de l’aberration écologique que cela représente, qui ose prétendre au caractère social d’une telle politique ?

En tablant sur le [kWh/m²] théorique, les responsables du cadre PEB ont cru choisir l’indicateur le moins mauvais pour qualifier un potentiel de performance ; ce n’est pas pour autant que cet indicateur est adéquat pour fonder une politique.

Quel impact sur les ressources ?

On a vu à quel point le gain écologique qu’on pense faire en passant d’une catégorie PEB à une autre est minime. Il pourrait carrément être négatif dans certains cas, si l’on considère que ce saut a exigé des consommations de ressources et de matériaux. L’analyse du cycle de vie, telle qu’elle commence à s’imposer aujourd’hui (Nibe, Totem,..), vise à prendre en compte ces impacts, en mettant les économies d’énergie potentielles permises par le chantier en rapport avec son coût environnemental et la durée de vie des matériaux ; toutefois les modèles surestiment les gains énergétiques après rénovation, et sous-évaluent probablement les empreintes réelles du chantier. La rénovation « énergétique » à marche forcée et tous azimuts, qui n’est pas la seule option ni la meilleure, pourrait être une injonction productiviste et extractiviste qui fait à l’environnement plus de tort que de bien.

Quelles conséquences sociales ?

De nombreuses associations en lien avec le droit au logement décent alertent sur la bombe sociale que représente la stratégie actuelle si elle n’est pas réaménagée 5. La catégorie PEB joue un rôle tel qu’elle amène les propriétaires bailleurs à rénover les logements mal isolés et augmenter les loyers, sans que cette augmentation puisse être entièrement compensée par une réduction des charges. Un des arguments avancés par les partisans de la PEB est en effet le suivant : les travaux vaudraient la peine car ils permettent des économies d’énergie et donc financières qui compensent le coût de l’investissement ou de l’augmentation de loyer. Mais si elle peut sembler logique pour des scientifiques en laboratoire, ou pour des politiques qui leur tendent l’oreille, l’idée d’un « loyer chaud » (loyer + charges de chauffage) qui resterait constant n’est pas démontrée en pratique : pour fonctionner, cette idée toute fictionnelle envisage une consommation initiale importante. en réalité souvent surestimée, et ceci d’autant plus pour les ménages pauvres ; on a ainsi affaire à une politique qui surestime largement la marge de progression possible pour les ménages à faibles revenus, et par conséquent leur bénéfice financier potentiel, de même qu’elle surestime le véritable bénéfice écologique. Le choc d’une hausse du loyer (pour les locataires sobres) ou d’un remboursement de crédit (pour les propriétaires sobres) ne sera tout simplement pas amorti 6.

Ce point est d’autant plus gênant qu’il se double d’une statistique défavorable : les classes PEB des bâtiments tendent à se superposer aux classes sociales des personnes qui les occupent. Les catégories F et G sont les premières cibles de l’artillerie PEB ; ce sont les personnes pauvres à l’intérieur qui, loin d’en tirer profit, et malgré toutes les bonnes intentions des manœuvres, en seront les premières victimes.

Quelle logique économique ?

Comme évoqué ci-dessus, ‘upgrader’ de force la partie la moins isolée du parc immobilier, c’est de-facto considérablement réduire l’offre de logements accessibles, pour des gains environnementaux qui restent pour le moins incertains. Plus largement, les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de leurs ambitions en matière de logement : la création et la rénovation de logements sociaux ne suivent déjà pas la demande, loin s’en faut 7. Dans ce contexte, une politique de plus en plus contraignante à l’égard des propriétaires bailleurs envoie des signaux problématiques aux investisseurs privés dont on ne peut pourtant se passer dans la configuration actuelle. En effet, comment ne pas s’inquiéter d’une diminution de l’investissement, et par conséquent de l’offre locative à moyen terme, cela alors même que les conditions d’accès à la propriété se durcissent pour la plupart des personnes candidates ?

Il ne s’agit pas d’appeler à une déréglementation complète, il s’agit de mesurer et rationaliser la régulation proposée et surtout les exigences PEB qui mécaniquement accélérent le renchérissement des loyers. Sortons de l’insalubrité, encourageons l’isolation des toitures et la rénovation des chaufferies les plus anciennes : ces actions sont aussi raisonnables que nécessaires, et constituent déjà à elles seules un immense défi sur lequel il nous faut nous concentrer. Pour le reste, il n’y a pas de rénovation gratuite et, non, elle ne se paye pas toute seule. La défense d’une offre de logements décents abordables impose de finement calibrer les exigences qui lui sont applicables, sous peine de voir cette offre disparaître 8.

Quel rapport à l’histoire ?

Dans les années 1960 et 1970 on disait vouloir moderniser la ville. Dans les faits, on a opposé le passé et l’avenir, et on a sacrifié le premier au profit, pensait-on, du second. Plusieurs quartiers ont ainsi perdu en humanité avec la bruxellisation. Aujourd’hui le nouveau mantra est isoler par tous les moyens et quoiqu’il en coûte, ou presque. Cela aura des conséquences esthétiques sur nos bâtiments anciens et sur nos paysages urbains, fruits d’une certaine sédimentation historique. Et cela pourra aussi avoir des effets sur le comportement physique de ces bâtiments, comportement physique par rapport auquel notre vision est souvent naïve. Certes, ajouter une couche quand on a froid, cela aide, mais on n’isole pas un mur comme on isole un toit ou comme on remplace un châssis. Pour chaque cas, différentes techniques sont applicables, et leur maîtrise – c’est le moins qu’on puisse dire – n’est pas systématiquement acquise, pouvant rapidement conduire à des problèmes d’humidité.

En conclusion

Il faut s’interroger sur la mise en œuvre d’une politique aux résultats collectifs finalement si médiocres. Quel est le sens d’une politique qui porte plus d’attention à l’isolation des bâtiments qu’elle n’en n’a jamais porté à leur salubrité ? Veiller à la salubrité, c’est pourtant la meilleure façon d’assurer le confort des occupants, y compris sur le plan thermique : un logement humide ne pourra jamais être confortable s’il n’est pas chauffé abondamment, alors qu’un logement sec peut rester confortable jusque dans des températures assez basses.

L’énergie est un bien commun. L’économiser ensemble est un devoir tant écologique que de justice sociale. Mais cette lutte doit être efficace, et attentive à sa faisabilité comme à ses conséquences sur les plus précaires. Contrairement aux ambitions affichées, il y a à cet égard un manque de cohérence dans les règles imposées aux bâtiments en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Nous plaidons pour une ouverture du débat quant à la pertinence de la stratégie européenne centrée sur le concept de PEB, et quant aux modalités de sa transposition dans le droit régional.

kWh par habitant

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Notes & Références

  1. Majcen, D., & Itard, LCM. (2014). Relatie tussen energielabel, werkelijk energiegebruik en CO2-uitstoot van Amsterdamse corporatiewoningen. Delft University of Technology, Onderzoeksinstituut OTB ↩︎
  2. Maison de quartier Bonnevie Buurthuis, Atelier Moneo, Kennis Centrum WWZ, KU Leuven, VUB, Renovasssistance, Rotor (2022). Faut-il valoriser les consommations réelles face au calcul théorique de la PEB ? ↩︎
  3. Nous renvoyons ici vers le travail de Claude Lefrançois, alias Papy Claude et vers la recherche Slowheat, qui mettent tous deux en évidence, à leur manière, l’intérêt de comportements, de modes d’habiter, d’aménagements, etc. qui ne sont pas forcément valorisés par la PEB mais qui vont aider à la réduction des consommations. ↩︎
  4. Voir par exemple :
    – CHITNIS, M., FOUQUET, R., ET SORRELL, S. (2020) Rebound Effects for Household Energy Services in the UK, The Energy Journal, Vol. 41, n°4, p. 31-59.
    – PENASCO, C., DIAZ ANADON, L. (2023) Assessing the effectiveness of energy efficiency measures in the residential sector gas consumption through dynamic treatment effects: Evidence from England and Wales, Energy Economics, Vol. 117.
    – Support de présentation pour la conférence de presse annuelle de Die Wohnungswirtschaft in Deutschland tenue en juillet 2020, intitulé Daten und Trends der Wohnungs- und Immobilienwirtschaft 2019/2020. ↩︎
  5. Cette inquiétude est assez bien ressortie des échanges de l’assemblée associative qu’Inter-Environnement Bruxelles organisait le 24 octobre 2023, sur le thème « Enjeux sociaux et économiques de la Rénolution énergétique du bâti bruxellois » ↩︎
  6. Daniëls, B., Tigchelaar, C., Menkveld, M. (2011) Obligations in the existing housing stock : who pays the bill. ECEE Summer study. 353-363. ↩︎
  7. 55.000 ménages sur liste d’attente avec en moyenne 10 à 15 ans d’attente selon le RBDH ↩︎
  8. FR : Crise du logement : la Wallonie touchée par le manque d’offres face à la demande, © BELGA, 6/09/24,
    NL : Zelfs mensen met ruim budget vinden geen huis »: 35 procent minder huurcontracten door gebrek aan huurwoningen, Stien Schoofs, VRT, 6/09/2024
    ↩︎